Free Skate Magazine  » Adrien Coillard – Revenir de quoi ?

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Adrien Coillard – Revenir de quoi ?

McGrath grind transfer, Lyon

Photographie par Fabien Ponsero
Paroles de Ted Barrow

N’avons-nous pas tous convenu que le temps est un cercle plat ? Au lieu de se dérouler le long d’une ligne de progrès, ne tourne-t-il pas de manière cyclique ? Les choses changent, certes, mais elles se répètent aussi. Il y a du bon et du mauvais dans cette attitude à l’égard du temps. Le mauvais : rien ne reste longtemps dans la même direction. Le bon : ce n’est pas grave, car ce sera encore comme ça. Bien qu’imprévisible, la vie a tendance à avoir une continuité réconfortante, n’est-ce pas ?

Ce truisme sur le temps prend une forme intéressante lorsqu’il est appliqué à la façon dont nous pensons au skateboard. La plupart d’entre nous apprennent à patiner à un moment où nous apprenons à être humains, à tester les limites de nous-mêmes par rapport au monde qui nous entoure et que nous connaissons à peine. Nous commençons à faire du skateboard jeunes, lorsque ce que nous pensons du monde est incomplet et souvent basé sur l’ignorance et l’imagination. Notre planche à roulettes, si on la regarde d’un certain point de vue, nous emmène dans la vie, en aiguisant certaines de ses arêtes tout en offrant un mouvement gracieux et fluide sur de nombreuses autres surfaces rugueuses de la vie. Il s’agit d’une expérience spatiale, perceptive et peut-être même mnémotechnique du temps, propre au skateboard. Combien d’entre nous ne se souviennent pas d’un iota d’une seconde d’une année d’études, mais peuvent se remémorer les détails de leur première glissade du nez avec un éclat cinématographique ? En vieillissant, nous pouvons même commencer à considérer ces schémas et cycles répétés comme une sorte de vague aperçu de la manière dont la vie elle-même est façonnée. Notre mouvement dans la vie est façonné par quatre roues et, avant que nous le sachions, ce mouvement devient notre vie, la façon dont nous mesurons le temps : roulant, cyclique, répétitif, toujours renouvelé.

Switch ride-on 50-50, Bayonne, France.

L’une des façons de mesurer le temps dans le skateboard, c’est le pantalon. Si vous avez prêté attention aux pantalons de skateboard au cours des deux dernières décennies, vous aurez décelé des changements majeurs. Le denim tendu et le sergé récalcitrant du début du millénaire ont gonflé comme une voile relâchée pour atteindre les formes flottantes préférées par la plupart des gens aujourd’hui. Comme les choses évoluent lentement au fil du temps, nos yeux ont le temps de s’adapter. Ce qui paraissait absurde et choquant semble aujourd’hui normal.

Je pense que l’époque des pantalons moulants (dont le retour est certainement prévu pour bientôt) est celle où l’espace négatif autour du skateboarder a été mis en relief. Le potentiel expressif des formes créées par le mouvement du skateur est devenu précis. En d’autres termes, nous en savions beaucoup plus sur la forme des jambes d’Olly Todd et d’Andrew Reynolds en 2006 qu’aujourd’hui. Aujourd’hui, avec un jean plus ample, le style devient une chose gestuelle, en contraste direct avec la façon graphique, presque grammaticale, dont il s’exprimait à l’époque des vêtements plus serrés. Et, à leurs époques respectives, ni l’un ni l’autre n’avaient l’air si bizarres. Notre façon de voir le mouvement et de traiter l’information par le biais du pantalon a donc évolué au fil du temps. Elle continuera à le faire.

Broyage de nez à l’arrière, Biarritz

C’est comme choisir une police de caractères : elle peut se lire différemment, mais le message est le même. Les pantalons en skateboard, je veux dire. Si vous voyez la dernière séquence largement diffusée d’Adrien Coillard, qui était probablement pour la plupart des gens Cliché’s 2013, Bon Voyageses pantalons sont, pour l’époque, pas mal. Il s’agit essentiellement de pantalons chinos, avec suffisamment d’espace pour que les poches avant se déplient lorsque, par exemple, il s’agit d’écarter le nez de ce hubba lyonnais fou au bord de la rivière. Bon sang. A-t-il vraiment fait ça ? C’est du Geoff Rowley de niveau supérieur en Désolé type-promesse sans Geoff Rowley en Désolé-. Une pièce comme celle-là, combinant une finesse et une créativité éclatantes avec une gnudité fluide et, tout bien considéré, un pantalon décent, était prometteuse et puis… Pas grand-chose d’autre après. Sans se risquer à la spéculation, il s’est probablement passé quelque chose. Les grandes entreprises de planches qui produisent des pièces brillantes et prometteuses finissent par imploser sous le poids extérieur d’un marché encombrant et ambulant, et les talents d’un grand skateur peuvent flotter comme d’obscurs grains de poussière dans le scintillement terne et suffusant de la durée d’attention des médias sociaux.

La question n’est pas de savoir si Coillard a continué à patiner loin des projecteurs, si les photos que nous voyons sont une sorte de retour orchestré, mais plutôt de savoir pourquoi nous devons penser à ce retour. Un retour de quoi ? De notre champ d’attention ? Ne pas patiner ? Patiner mais ne pas filmer ou prendre des photos ? Du marasme des sponsors ? Onze ans après le lancement de Cliché Bon VoyageCes termes et idées sont-ils pertinents pour mesurer la vie d’une personne dans le skateboard ?

Boardslide to switch feeble grind revert, Lyon

Considérer le skateboard comme un moyen de mesurer le progrès dans le temps, bien au-delà de l’adolescence, est une entreprise infructueuse. Le progrès et la persévérance sont des mythologies construites que l’on nous enseigne pour nous aider à surmonter l’ennui de l’école et la terreur de la vie, alors que nous prenons conscience que tout cela n’a pas de sens. Si nous avons grandi en faisant du skateboard, le processus d’apprentissage, de perfectionnement et d’expansion de nos figures et de nos terrains nous donne l’impression de progresser. Mais ce sentiment n’est pas un fait, et l’idée que nous devons toujours continuer à aller de l’avant avec le temps n’est que cela : une idée et non une vérité. Ces idées sont la façon dont nous donnons forme au temps, ou du moins une façon de le faire. Mais le skateboard façonne le temps d’une manière différente. Et je dirais que l’exploration du temps par Adrien Coillard, à travers le skateboard, qu’il soit vu ou non, propose un ensemble de formes différentes. Il y a des vides et des lacunes, beaucoup d’espace négatif (les onze dernières années, par exemple) et cet espace négatif est maintenant sculpté par différents pantalons dans une nouvelle configuration à travers, dans certains cas, des environnements familiers. La banque où il effectue le transfert backside 180 nosegrind renversé, que l’on voit ici, n’est-elle pas la même que celle dans laquelle il a nollie 360 shove-it-ed (un truc de petit enfant s’il en est) et frontside heelflip varial to corner carve to slam (un truc de jeune homme prometteur), dans sa première partie de Doble en 2009 ? Voilà ce que je veux dire. Les spots ont une certaine qualité intemporelle qui propose de nouveaux tricks à faire tout en promettant la possibilité d’une expérience répétée en y faisant d’anciens tricks. Je me demande si cette fosse lyonnaise résonne pour Coillard de cette manière : comme un spot qui a signifié une chose pour lui en tant qu’adolescent ripper et une autre chose pour lui en tant que vétéran chevronné. Et ces différentes significations ont-elles quelque chose à voir avec la façon dont nous les lisons dans le temps ?

Ride-on 50-50 à 5-0, Lyon

L’histoire de l’artiste italien de la Renaissance Sandro Botticelli (1445-1510) offre une façon parallèle de réfléchir à ces questions. L’esprit de l’époque de sa génération n’était pas seulement de se distinguer de ce qui avait précédé, ce qu’ils appelaient l’art « gothique » (non italien, médiéval) et l’art classique (gréco-romain) des anciens. L’art de la Renaissance consistait à reconstituer consciemment le style des anciens avec les impératifs de l’époque, qui mettaient l’accent sur l’amassement du pouvoir. Élève et bientôt maître du dessin et de la peinture à la détrempe, Botticelli (surnom signifiant « petite bouteille ») se distingue de son maître par la précision gracieuse de son trait, qui, à l’époque, est perçu comme un rendu fidèle des qualités naturalistes. La Primavera ou la Naissance de Vénus sont des chefs-d’œuvre de la peinture de la Renaissance, fusionnant le passé et le présent dans une forme nouvelle qui reflète une certaine attitude à l’égard du temps. Botticelli et ses collègues considèrent en effet leur contemporanéité comme une nouvelle attitude à l’égard du passé, une histoire dont ils ne font plus partie. Au gré des bouleversements politiques et de sa propre intensité spirituelle, l’œuvre tardive de Botticelli devient délibérément archaïque : il abandonne l’ordre naturaliste et la calme sérénité pour un proto-surréalisme onirique qui relève plus de la vision intérieure que de la transcription extérieure. En vieillissant, Botticelli s’éloigne de la rigidité de l’évolution stylistique à travers le temps, pour revenir à la subjectivité.

Plus nous vieillissons, plus ces remous dans le skateboard deviennent nourrissants. Toutes les expériences passées, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, peuvent constituer une base riche en nutriments pour notre façon de skater aujourd’hui.

Taildrop, Saint-Sébastien

Nous rencontrons l’image la plus récente de Coillard en train de faire du skateboard à côté de ses premières images. Cela renforce sa présence et repousse l’idée qu’il faut ajouter de la merde dans cet espace négatif. Les choses peuvent tout simplement être autonomes. L’espace qui les sépare ne sert qu’à définir les contours des choses que l’on peut voir. De la même manière que les pantalons plus fins de 2013 offraient une forme différente au mouvement, la manière dont nous skatons définit une attitude différente vis-à-vis du temps.

Si tout cela semble trop déterminé et opaque, permettez-moi de clarifier les choses. Penser qu’Adrien Coillard revient de quelque part, c’est imaginer un lieu et un temps qui n’existent pas. Nous ne savons pas où il était entre-temps, et ce n’est pas grave. Il a traversé l’ère des spots hubba à marteau vantés et est revenu skater des rives familières. Le skateboard a changé, nous aussi, Adrien y compris. Si mesurer son skateboard dans le temps et non dans le progrès n’a pas beaucoup de sens, laissez-moi vous proposer ceci : le skateboard n’est que la preuve d’une vie vécue à son plus haut degré d’intensité. Une bonne photographie de skate capture ce moment, le clic de l’obturateur et l’extension complète de la figure agissant en harmonie avec notre propre regard. Il n’y a pas de retour en arrière à faire, parce que c’est toujours là, juste là. Et ce sera toujours le cas.